Récits ordinaires

Baiser et se faire baiser

Je l’entends arriver. Notre immeuble est plutôt calme la nuit. 

Ses pas lourds dans les escaliers, de plus en plus proches, jusqu’au dernier étage. La clef dans la porte, elle s’ouvre doucement. 

Lison dépose son sac, sur le canapé j’imagine. 

Cet appartement, on l’avait choisi à deux. Habiter ensemble après un an de relation, c’est la première fois que ça m’arrivait. Mais mes colocs quittaient Paris et le propriétaire de son studio récupérait son bien. Du coup, on s’était dit Pourquoi pas habiter à deux ?

À Paris, trouver un logement, ça nous a pas posé trop de problèmes. On est tous les deux intermittents, mais on gagne parfaitement nos vies. La pub, pas les films fauchés, je disais aux agents immobiliers, surpris devant mes fiches de paye. 

J’ai choisi un appartement entre le 11e et le 12e, près de la rue du faubourg Saint-Antoine. Dans une rue calme. Situé au dernier étage d’un Haussmannien, immense salon/cuisine avec 3 fenêtres, puis un dressing, puis une salle de bain, puis une petite chambre. Le tout en enfilade, dans cet ordre. 

Il a de parisien : la mauvaise isolation, l’agencement étrange qu’on pourrait imaginer tiré au dés. 

J’étais tombé sous le charme, Lison beaucoup moins. 

Elle trouvait la chambre trop petite mais je lui avais dit On vivra dans le salon, la chambre sera notre point de chute pour dormir uniquement. 

Elle avait cédé car elle voulait vraiment qu’on vive ensemble. Lison est toujours prête à faire plus de compromis que moi. 

1980 euros pour 42 mètres carrés et un petit balcon. Je suis très content d’habiter ce quartier et d’aller faire les courses en couple, le samedi, au marché d’Aigre. Ça nous va bien, je trouve. 

Je l’entends se brosser les dents, se déshabiller. Elle me rejoint et se glisse dans le lit. 
Tu dors toujours pas ?
Ça va venir, je lui dis pour la rassurer. Ça s’est bien passé ?
Elle me raconte alors le tournage à Prague. Deux actrices qui se draguent, un ingé son qui a la gastro, une pluie torrentielle… Je l’écoute poliment, je n’ai pas demandé autant de détails. Mais je suis content de savoir qu’elle est fière des images qu’elle a tournées. C’est moi qui l’ai pistonné sur cette pub. 

Je l’avais rencontrée pour la première fois sur le tournage d’un spot pour Le Bon Marché. Elle était mon assistante caméra, elle était surtout très mignonne et me regardait avec beaucoup d’admiration. Je crois que c’est ça qui m’a plu en premier chez elle, la manière dont elle me regardait. 

Elle avait 24 ans, j’en avais 32, mais dans notre milieu, on s’en fout. Enfin, je veux dire, ça ne compte pas.

Elle se sert contre moi dans le lit. Elle me dit qu’elle est épuisée.
J’ai pas dormi la nuit dernière.
L’hôtel était nul ?
Non, j’ai passé la nuit avec un gars.
Je ne réponds rien, car elle a le droit.
Je sens son corps s’alourdir peu à peu contre moi. Elle plonge dans un sommeil profond. 

Je sens son corps s’alourdir peu à peu contre moi. Elle plonge dans un sommeil profond. Un repos serein et bien mérité avec deux jours de tournage et visiblement, une nuit de baise. 

Elle et moi, on est un vrai couple moderne et j’en suis assez fier. De cette image qu’on doit renvoyer, de notre vie dans un 42 mètres carrés. Proche de la rue du Faubourg Saint-Antoine.

23h53

Je n’ai jamais aimé les règles. Enfin, je dirais plutôt que le seul fait qu’elles existent me donne envie de les transgresser. 

Déjà gamin, j’étais bon élève, mais je gardais des antisèches en contrôle, juste pour le frisson. Vu que j’avais des bonnes notes et que je révisais bien, je n’ai jamais eu besoin de les sortir. Je me suis jamais fait attraper. Au bout de quelques années, aussi visibles soient-elles, mes antisèches, je ne ressentais plus aucune excitation à l’idée de tricher.

J’ai donc commencé à tirer des petites choses dans les magasins. Et là, j’ai vraiment pris mon pied. L’adrénaline, en passant devant les vigiles à la sortie, c’est quelque chose de dément. J’ai beau avoir tapé de la coke, pris de la MD, … Rien, rien de tout ça n’est aussi kiffant que de voler.   

Je me suis fait gauler deux fois. Je m’excusais, je payais ensuite, j’avouais mon erreur. Je suis bon perdant. 
Et je suis blanc et blond, alors autant vous dire que, malgré ces deux incidents, mon casier judiciaire est plus vierge que Marie. 

00h34

Alors vous imaginez bien que le couple, ou plutôt la fidélité, a été, dès mes premières relations, un vrai challenge. 

J’ai beaucoup trompé mes exes et étrangement, beaucoup m’ont pardonné. Faut dire que j’ai très vite gagné ma vie. À 25 ans, j’avais 4000 brutes par mois environ, et certains mois, je pouvais monter jusqu’à 7000. 

Je sortais avec des meufs qui étaient en études et qui voyaient en moi un génie artistique. Le milieu aussi et les agences de pub me draguaient ouvertement pour que je vienne cadrer pour leurs clients. 

Quand j’ai compris que c’était la monogamie qui me posait problème, j’ai vite trouvé une solution. Mes trois dernières relations, comprenant celle avec Lison, sont devenues ouvertes. Une condition non négociable que j’impose dès le début. 

00h45 

Pour rentrer dans les détails, j’ai toujours une relation principale, c’est-à-dire mon couple, et je m’autorise des aventures à côté avec des amantes. 

Car j’aime plaire et je ne vais pas m’en excuser. 

Avec Lison, ça a été dur, au début. J’ai quitté ma dernière relation principale pour elle. 

Lison est une meuf assez mignonne et sage. Elle avait du mal à m’imaginer coucher avec d’autres femmes et restait éveillée certaines nuits à m’attendre. 

Combien de fois je suis rentré à point d’heure et, en l’embrassant dans le lit, je sentis qu’elle avait pleuré. 
Mais je ne lui en veux pas parce que Lison est jeune et parce que je crois que les femmes ont, de base, peur qu’on les trompe.

1h05

J’avais imposé Lison dans mes tournages, c’était mon assistante et on baisait toutes les nuits de taff ensemble. 

Le truc que j’aimais chez elle, c’était son côté un peu naïf. J’avais toujours l’impression qu’elle s’étonnait qu’un mec comme moi puisse s’intéresser à elle. Et les premières fois qu’on a couché ensemble, elle se levait le matin en me disant Je comprends si tu veux qu’on arrête là. 

On ne s’était pas arrêté là. J’avais quitté mon exe et j’ai loué avec elle ce 42 mètres carrés près du Faubourg Saint-Antoine.  

1h24

Il y a quelque chose que j’aime dans le fait d’avoir des amantes, c’est l’idée que les gens ne savent pas et qu’ils pourraient être choqués en l’apprenant. 

Les inconnus dans le métro, par exemple. Quand je pense aux différentes lèvres que j’ai embrassées cette semaine, eux ne se doutent de rien. 

Ou l’autre fois, chez mes parents, quand on a mangé avec eux pour Pâques. En allant pisser, j’ai ouvert mes messages et BAM une grosse photo à poil d’une de mes amantes. 
Je suis retourné ensuite à table. Et personne, ni ma mère, ni mon père, ni Lison ne savait que j’avais eu, deux secondes avant, une demi-molle.
Lison était en train de rigoler à une anecdote de mon père. Une histoire un peu nulle et que j’avais déjà entendue dix fois. Elle était bon public, Lison, et surtout elle voulait plaire à mes parents. Et moi, en la regardant, je savais qu’à Paris, une autre femme se touchait en pensant à moi.

1h35

Je me dis c’est peut-être ça qui est différent entre Lison et moi. 

Moi, j’assume intérieurement et j’aime ça. Lison, elle est un peu immature là-dessus, un peu gamine. Alors qu’elle a complètement le droit de coucher avec d’autres hommes, elle n’a fait que flirter avec des mecs en soirée. Le plus transgressif qu’elle a fait, c’est rouler une pelle à un gars. 

Du coup, ce mec dont elle m’a pas dit le nom d’ailleurs, ce gars du tournage, c’est la première fois qu’elle couche avec quelqu’un d’autre que moi. En deux ans de relation ouverte. 
Ce qui me fait dire qu’il a dû vachement lui plaire. Pour qu’elle passe la nuit avec lui. 

Parce qu’elle est habituellement attirée que par moi. 

1h42

Peut-être même qu’elle s’est levée le matin comme elle se levait nos premières fois. Complètement crédule. 

Et c’est ça qui est finalement dangereux. C’est qu’elle s’imagine peut-être pas ce qu’elle est en train de faire. Ou alors elle sait que ça plaît, ce côté Je l’ai pas vu venir

Elle a pas vu venir le fait qu’elle s’est faite baiser toute une nuit entière. 
De mon côté, j’y crois pas trop. 
C’est pour ça que je trouve ça un peu gamine, à pas assumer ce qu’elle veut.

1h50

Et sur cet aspect, j’en viens à me demander si c’est pas moi qui suis en train de me faire mettre. Car Lison, là, elle dort paisiblement. 
Elle revient d’un tournage où je l’ai pistonnée. 
Elle se glisse dans le lit en me disant à demi-mots qu’elle a admiré un connard qu’ils ont baisé toute la nuit. 

Bien joué, Lison. 
Bien joué d’avoir tout niqué. 

Le but d’une relation ouverte, c’est pas de te tirer avec le premier connard qui te fait des yeux doux. 
Surtout que je la sais tellement immature qu’elle ne sait pas faire la différence entre une relation physique et une relation sentimentale. Donc ça y est, elle se casse avec un autre mec en jouant la carte de Je l’ai pas vu venir.  

Je me lève et je quitte la chambre. 

Non, je ne dormirai pas à côté de quelqu’un qui ne me respecte pas. Non. 

Dans le salon, je vide le sac de sport de Lison. Je balance tout sur le canapé. Je prends pas le temps de faire ça proprement. Je remplis le sac avec deux trois conneries à moi. Je viendrai chercher le reste un autre jour. 

Je retourne dans la salle de bain, prendre une brosse à dents et du dentifrice. Elle se démerdera pour en racheter. 

Ça va ? 

Cheveux en bataille, Lison est assise sur les chiottes, les yeux gonflés par le sommeil. 
Elle pisse, regarde la trousse de toilettes que j’ai commencé à remplir. Et cherche à comprendre. 

Je dis rien. 
Je ne sais pas si elle comprendra un jour. 
Lison, je ne sais pas si tu comprendras que tu as bousillé comme une gamine notre relation. L’ouverture, ça ne veut pas dire tomber amoureuse. Moi, je sais gérer mes amantes. Ce ne sont que des amantes. Toi, tu es trop sensible, trop romantique pour ce genre de relations. Il te faut à tout prix tomber amoureuse de l’autre. 

Je me suis cassé sans rien dire.

2h09

Paris la nuit, un mardi, c’est clairement vide. 

Personne répond à mes appels. 
Mes amis doivent dormir. Mes amantes, si elles ne dorment pas, doivent serrer d’autres mecs. Et c’est très bien ! J’en suis content ! 

Typiquement, Lison, je suis sûr que si son mec du tournage l’appelle, là maintenant, elle est la première à décrocher. À lui dire de venir avec un truc insouciant du style Quoi ? Tu veux bien me revoir ?

Ce côté naïf, je suis sûr que ça a dû lui plaire à ce connard. 

En fait, si on veut vraiment être honnête, c’est moi le plus naïf de cette histoire.

Je me suis fait baisé par une gamine trop tendre.