Récits ordinaires

Une vie simple

La première fois que je l’ai croisée chez moi, ça m’a fait l’effet d’une électrocution. J’avais sursauté comme si je venais de toucher le fil électrique qui maintient les vaches en captivité. Je m’étais levée en pleine nuit dans l’idée de faire passer une insomnie avec un verre d’eau. Et, en arrivant dans mon salon, elle était là, assise sur le canapé, à sangloter. Oui, j’avais sursauté, mais je n’avais pas crié. Je n’avais pas eu peur. Elle semblait peu hostile, tellement démunie. À faire pitié. 

J’étais allée obtenir l’objet de ma quête nocturne, c’est-à-dire un verre d’eau, en gardant un œil sur elle depuis la cuisine. On ne sait jamais. Je m’étais assise sur le fauteuil qui fait face au canapé, et je l’avais regardée pleurer jusqu’au petit matin. 

La nuit suivante, même affaire. Impossible pour moi de dormir. Et quand j’ai quitté ma chambre, j’ai vu la lumière du salon allumée. Elle était de nouveau là, assise, la tête dans les mains. Son corps mince, animé par de petites convulsions. Elle pleurait. 

Aujourd’hui, je peux dire que sa présence ne m’embête pas trop. On s’habitue vite à la compagnie, même passagère. Car la femme qui pleure s’en va au petit matin, sans que je m’en aperçoive. Quand le soleil commence à couler dans le salon, quand je sens que le métro fait vibrer le parquet, j’ouvre les yeux et elle n’est plus là. Et je peine à retrouver une quelconque preuve de sa présence. 

L’autre nuit, j’ai remarqué que ces pleurs étaient plus légers. Elle s’est même calmée au bout d’un moment. Elle a levé le visage de ses mains. Et c’est la première fois que je voyais ses yeux. Elle n’était pas très belle, le masque déformé par la douleur, les yeux cernés. Je doute qu’elle puisse être plus jolie, même quand elle est à son avantage.

Elle a fait rouler son regard sur les murs vides. Un peu comme pour me justifier du décor pauvre, j’ai dit Zoé avait pris en charge toute la décoration. 
La bibliothèque a l’air de crever la dalle. Les livres lui appartenaient, j’en avais peu à moi. Puis, pour clôturer le sujet – même si elle n’ouvre pas la bouche, j’ai eu peur qu’elle se mette à me parler de ça – j’ai ajouté : Zoé est partie avec tous les cadres et les bouquins. 
Déjà, je la trouvais pas très belle, mais là, son visage s’est mis à se mouvoir en une grimace qui m’a mis très mal à l’aise. La femme s’est remise à pleurer.

Je lui ai tenu compagnie pendant une quinzaine de nuits. Et ce matin, j’ouvre les yeux, je me réveille le corps tendu par énième nuit passée sur le fauteuil et donc ce matin : elle est là, l’autre.

Elle ne pleure plus, tant mieux, car je dois rapidement me préparer. Je lui sers un café, pour être polie. Elle le boit en silence dans la petite cuisine. Moi, je m’affaire à me donner une tête potable dans la salle de bain. Quand je suis prête à quitter l’appartement, elle se tient dans l’entrée. Je comprends qu’elle va m’accompagner au bureau.

Je lui paye un ticket de métro. Je m’engouffre avec elle dans une rame déjà pleine. Même si elle a l’air d’avoir envie de se tirer une balle, elle ne fait pas tâche au milieu des autres visages fermés. C’est peut-être ça, l’avantage de Paris.

Je ne demande pas au gardien à l’accueil de lui faire un badge. Ça se trouve, demain, elle sera partie. Et je n’ai pas envie de me lancer dans un marathon bureaucratique, à base de mail d’autorisation décerné par des personnes dont je peine à comprendre leur fonction dans l’entreprise. 

Les collègues de mon service l’accueillent avec un grand sourire. Ils sont très gentils avec moi, me demandent de mes nouvelles. C’est la fin de l’alternance de Dimitri, il a apporté des chouquettes. J’ai de la chance d’avoir une équipe comme ça. Récemment, à l’étage du dessus, un mec s’est jeté par la fenêtre. On a tous cru que c’était un oiseau, vu qu’on regardait notre écran. Mais on a entendu les cris en bas. Et deux jours après, on a reçu un mail de la Direction. Une cellule psychologique avait été ouverte, avec des créneaux en visio pour ceux qui faisaient du télétravail. Et encore deux jours après, on a reçu un nouveau mail de la Direction. Parce qu’ils avaient payé des prestataires externes, pour que les employés puissent parler, se confier, pleurer même. Et finalement, personne ne s’était saisi du truc. Ils disaient avoir été déçus. 

Je pars dans notre open space, à la recherche d’une chaise de bureau disponible pour l’autre. À première vue, il y en a plein, parce que peu de personnes travaillent sur le site maintenant. Mais les gens sont très possessifs. Surtout quand il s’agit de leur chaise. Dans les premiers mois de mon contrat, j’avais assisté à plusieurs drames. Souvent avec le même scénario : un mec arrivait tout frais le matin, s’asseyait, puis constatait qu’il y avait quelque chose de bizarre. Là, le mec réalisait que sa chaise n’était plus la sienne, ou que ses réglages avaient changé. Et alors, boum, ça partait d’un coup. Agressif, l’œil mauvais, le mec remontant les allées en scrutant chaque personne présente. Une vraie chasse à l’homme. Il valait mieux avoir un alibi solide.

J’ai trouvé une chaise disponible vers le pôle des stagiaires. Eux, ils n’iront pas gueuler.

Ce soir, j’ai réalisé que ça faisait un mois. Un mois que l’autre est là. J’ai voulu casser la routine. C’est jamais bon quand la routine commence à s’installer, j’avais entendu ça dans un podcast qu’écoutait Zoé en cuisinant. Bref, un mois. Fallait marquer le coup. Je l’ai invité au resto. On est allées au cinéma et, en rentrant, je crois que j’ai deviné un sourire sur son visage.

Je traîne de nouveau dans mon quartier. Avec elle, j’ai moins peur de retourner à des endroits que j’ai appris à aimer grâce à Zoé. La librairie en haut de la rue, celle avec la meuf qui ressemble à Billie Eilish, j’y suis retournée avec l’autre. En entrant, Eilish m’a souri, et a posé sur moi un regard un peu trop long pour que ce soit anodin. En fait, elle a cherché sur mon visage des indices d’où elle me connaissait. J’ai traîné vers les Sciences Humaines, j’ai regardé où traînait l’autre, elle regardait les ouvrages de récits de voyage.
Ça y est, tu t’es décidée à venir sans Zoé ? Je me suis retournée un peu étonnée. De savoir qu’elle connaissait un prénom que j’essaye d’oublier semaines après semaines. Et de voir qu’on partait directement sur un tutoiement.
Elle était plus bouquins que moi, je l’accompagnais pour lui faire plaisir. J’ai parlé au passé pour qu’elle comprenne sans que j’aie à lui dire ce qu’il en est. Elle a eu l’air de comprendre, car ses sourcils ont pris l’air surpris, puis désolé.

Ah oui, je vois. 

Elle ressemble finalement pas tant que ça à Billie Eilish, je pense qu’on s’était trop emballées avec Zoé. Elle a les lèvres bien plus timides. Mais oui, ses yeux sont bleus et semblent immenses. 

Promis, ça passe.

Le vide est vraiment quelque chose qui me fait peur, les blancs dans les discussions aussi. Et là, elle me regardait avec un sourire tendre. Je l’ai trouvée belle. J’ai eu envie de lui ressembler aussi. Souvent, ces deux sentiments se percutent chez moi. Remplir, remplir :

Hé oui. Donc tu me conseilles quoi ? 

Je voulais me remettre à la lecture. Car, si Zoé lisait beaucoup, j’en avais perdu le plaisir. Elle lisait des trucs d’intellectuels, j’avais passé une grande partie de ma vie à dévorer de l’Héroïque Fantasy.

Le jour de mes 25 ans, elle m’avait offert un bouquin d’Ursula K. Le Guin. Une compilation d’essais sur la science-fiction et l’acte d’écrire comme refus du pouvoir systémique jesaispasquoi. J’avais été, au premier abord, touchée. Zoé avait fait un pas en direction de mon univers, rien que pour moi. Elle avait emballé la preuve de son amour dans du papier kraft et je l’aimais. Puis, ça avait vite mal tourné. Compliqué d’aller au rayon des nerds, je l’ai trouvé dans la section essai. Elle m’avait dit, avec un clin d’œil complice auquel j’avais bien évité de répondre.

Alors voilà, Zoé est un prénom bien court et sans prétention. Pourtant, cinq mètres et le rayon Romans Francophones séparaient son monde du mien. Et pour rien au monde, elle aurait laissé Roland Barthes et Gilles Deleuze pour une histoire de dresseur de dragons. 

Tu as envie de quoi ? Dit Billie Eilish. De fiction, d’évasion, de savoir ? 

Je suis plutôt Tolkien que Tolstoï. 

Je fus assez fière de ma répartie. Et merci, dieu merci, elle saisit la blague et me défie On trouve peu de personnes de votre espèce ici ! Mais parfait !

Je la suis jusqu’au rayon SF et je me réjouis de me dire que Zoé aurait bien été jalouse de me voir pénétrer dans ce rayon avec une belle meuf. En passant devant les Récits de voyage, je souris à l’autre qui a levé le nez d’un album. Je me note de lui faire signe en quittant la boutique.

Les doigts de Billie caressent les côtes des livres et elle chuchote quelques indications dont je peine à comprendre le sens. Ça me plait de la voir comme ça, faisant appel à la magie noire pour me trouver le livre idéal. Pour satisfaire mes envies. 

Elle extrait un livre de poche ça tu as aimé ?

J’ai pas lu.
Comment ça ? Attends, grand classique sorti il y a 4 ans environ. J’ai l’impression qu’on ne parle encore que de ça.
J’ai pas lu depuis presque 6 ans, je crois.
Je suis pas gênée de le dire. Ça fait de moi une femme forte qui était prête à tout pour sa partenaire. 

J’ai arrêté de lire.

Je suis sortie, en prenant soin de ne pas oublier l’autre.
J’ai pensé à Billie toute la soirée.
J’ai même raconté notre échange. A l’autre mais surtout pour moi-même. Sa blague, sur mon espèce rare. La fluidité de notre échange, la manière dont elle a tout fait pour que je revienne à la librairie. 

J’ai hâte de savoir ce que tu en as pensé. 
Elle m’avait dit un truc comme ça. Ou Tu viendras me dire ce que tu en as pensé. 

Bref, elle voulait me revoir et ça m’occupe l’esprit tout le week-end. 

Aujourd’hui, on déjeune entre collègues dans l’Hippopotamus en bas du building. Parce que mes collègues semblent un peu l’ignorer, je m’installe en face de l’autre. Elle m’accompagne depuis maintenant presque deux mois. Deux mois qu’elle garde les mâchoires serrées. J’en viens à me demander si elle n’est pas handicapée ou quelque chose dans le genre. En tout cas, elle n’a pas le cœur à communiquer avec qui que ce soit. Elle commence à devenir encombrante, voire gênante, en société.

Je suis contente de finir la semaine, j’ai envie de partager et raconter. J’ai parlé du livre que je lis, Deux femmes d’univers opposés qui s’écrivent et se découvrent. 

Des questions que ça posent dans leur monde et comment ça pouvait nous faire réfléchir sur le nôtre. Sur l’amour du différent et la manière dont notre éducation nous empêche de … 

Les entrecôtes arrivent à la file indienne. 

Liam, qui est assistant project leader manager ou quelque chose qui y ressemble, me dit Je savais pas que tu lisais ce genre de bouquin, c’est nouveau comme passion ? 

Alors, j’ai pas pu m’empêcher de parler de Billie et là, j’ai compris qu’ils pensaient tous avoir compris quelque chose, que j’avais moi-même pas compris. J’ai regardé l’autre et elle coupait sa viande en m’attaquant du regard. 

Je me suis faite récemment la réflexion que certaines personnes sont translucides. Je veux dire par là qu’on voit directement ce qu’elles ont en elles, même si elles se refusent à le dire. Zoé m’avait reproché ça, le fait d’être trop facile à cerner. Je crois qu’elle avait juste les boules d’être moins à l’aise que moi à l’idée d’assumer ce qu’elle ressentait vraiment. Faut voir le cas ! Elle avait dû suivre une thérapie depuis plusieurs années pour se rendre compte qu’elle avait évidemment mal vécu d’échouer à l’agrégation de lettres. Alors qu’elle disait à qui veut l’entendre, Je suis professeure de français car je veux une vie simple. Ses amis de l’ENS et de Sciences Po travaillaient à l’université ou dans des cabinets et, devant eux, elle se drapait d’illusions et portait en étendard cette vie simple choisie

Zoé avait cinq ans de plus que moi. Je l’ai toujours trouvée si compliquée, avec les autres mais aussi avec elle-même, qu’elle me semblait être fatiguée par une existence de plusieurs siècles. 

Niveau translucidité, j’ai compris ce que Zoé voulait dire de moi quand je me suis retrouvée face à l’autre. En rentrant de l’Hippopotamus, l’ambiance est bien lourde. Pas entre collègues, on sait qu’on va mettre les voiles dans trois heures. On ne reverra pas, pour deux jours, la moquette bleu foncé de l’open space. Mais entre l’autre et moi, c’est glacial. Elle, ordinairement si passive, semble maintenant s’opposer à mon existence de tout son corps. Droite comme un piquet à son bureau. Elle a ancré son regard en moi. Je deviens rouge de gêne. On part, elle, sa colère et moi, à 16h30 pétantes. Et j’appréhende terriblement la soirée. 

J’ai commandé des sushis pour le dîner. Sa présence commençait à me peser financièrement. Entre la nourriture, le pass Navigo, le cinéma, le musée… mais je sens que ce n’est pas le moment d’aborder le sujet.
Elle qui ne pouvait détacher son regard de moi dans les bureaux, maintenant m’évite. Un comportement d’enfant que je m’étais promis de ne plus jamais tolérer. On se couche rapidement, pour écourter au plus vite la soirée. 

Je prends quand même le temps de finir le livre que Billie Eilish m’a conseillé. Je suis déçue par le dénouement. Mais je suis contente de voir que j’ai des choses à lui dire pour nourrir notre futur échange. 

L’autre s’est déjà couchée, dos à moi, et fait semblant de dormir. Lui consacrer des pensées m’énerve au plus haut point. J’éteins la lumière pour me dire qu’elle n’existe plus. 

Je pense à ce que je vais lui dire le lendemain, à Zoé. Je redessine, avec mes souvenirs, les traits de son visage. J’imagine son odeur. Quelles sont ses habitudes ? Ses tocs ? Son pire défaut, je crois qu’il pourrait être vu comme une qualité. En tout cas, que ce n’est pas une faille incompatible avec l’amour, j’en suis sûre. Le sommeil me prend. Je peux laisser mes pensées dicter mes rêves et me dédouaner de la forme qu’ils prendront. 

Ce que j’aime, ce genre de matin. J’ai pas les mots pour les décrire, mais je peux vous dire une sensation. Celle d’être légère, bien dans sa peau, dans sa tête, dans son lit. Ce matin, je suis invincible et ça fait plusieurs années que je n’avais pas ressenti ça. L’autre a quitté le lit et je suis contente d’être seule dans la chambre.

Je prends le temps de deviner les dernières pensées qui m’ont amenée jusqu’au réveil. Je n’ai jamais été forte pour me souvenir de mes rêves. Mais je sais lire mon corps et mes seins sont fermes, mes tétons aussi. Cette balade m’invite plus bas, et je glisse mes doigts entre mes lèvres. Je n’ai pas entrepris ce chemin depuis bien longtemps. Je pense à Zoé en premier, j’en ai un peu honte, mais c’est la vérité. Je me rappelle des gestes, des sensations. Son corps qui se contracte, l’odeur de sa transpiration. Puis Billie vient prendre la relève. Et là, j’imagine. Juste, son visage. Quand elle prend du plaisir. Sa manière de lâcher prise. Les bruits qu’elle pourrait faire, de plus en plus réguliers. De plus en plus franches. 

L’orgasme est rapide et soudain. Je plane pour une durée indéterminée.   

Il est presque midi, il faut que je me lève. J’ai qu’une seule chose prévue aujourd’hui : aller à la librairie. J’ai banalisé mon samedi comme si ça allait me prendre plusieurs heures. Mais voilà, en voulant quitter ma chambre, je me retrouve à tirer sur la poignée d’une porte qui ne cède pas. Et j’y mets tout mon poids. Ça ne s’ouvre pas. Je suis enfermée. La clef n’est plus sur la serrure, ou alors elle l’est, mais côté salon.
J’ai d’abord un peu peur. Je crie pour appeler l’autre. C’est la première fois que je l’appelle et je réalise qu’elle n’a pas de nom. Je lance donc des Hé ho, s’il te plait, c’est fermé faussement calme.

Silence dans l’appartement. Mais je la devine et cela me fait rapidement passer de la peur à la colère.
Ouvre la porte, putain !

La porte vibre sous mes poings, mais elle résiste. Je donne des coups de pied, en dernier recours, plus pour faire peur à l’autre que pour me libérer.

Je hais, je la hais, je hais ce genre de comportement.
On est des adultes ! On parle ! On enferme pas les gens, connasse !

Rien rien rien. 

Je lance contre la porte tout ce qui me tombe sous la main : une tasse, un chargeur, des baskets, le panier à linge, une lampe.
Rien, toujours rien. 

La colère me prend à la gorge et je chiale de rage.
J’ai fait quoi, pour te mériter ?! J’ai fait quoi à la vie ?!

Maintenant, je pleure à chaudes larmes. Écroulée contre la porte, je me lance dans une tirade de complaintes. Pardon, mais il fallait que ça sorte.
La vie en prends plein la face. Zoé aussi. Ses potes par ricochets. Mon père, dommage collatéral. 
J’ai la haine, je pourrais la vomir, je pense qu’elle aurait la forme d’un gros rat crevé. 

Puis, quand j’ai plus rien dans le bide, le pragmatisme monte sur scène. 

Tu proposes quoi alors ? Comment ça se passe ? Tu me laisses mourir de faim dans la chambre ? Je vais plus au boulot ? 

J’essaye de la raisonner. Je lui dis qu’on va se rendre compte que je manque à l’appel, que j’ai disparu. Mais personne ne s’en rendra compte de mon absence … avant lundi. Mes collègues, aussi chauves soient-ils, sont ceux qui s’inquiéteront les premiers pour moi. Je suis terriblement seule et je me fais pitié. 
Les larmes reviennent comme un tsunami. Je me laisse emporter.

Une énorme envie de chier. Voilà ce qui me fait me relever quelques heures plus tard. Je me décide à ne pas mourir humiliée, assise dans ma propre merde. Même si, actuellement, c’est un peu l’image de ma vie depuis que Zoé s’est barrée pour un connard en doudoune sans manches. Devant l’envie pressante, la panique s’empare de nouveau de moi. 

Je crie Ouvre la porte ! S’il te plait, ouvre, ouvre.

Je saisis la poignée et la porte s’ouvre d’un coup, sans résistance. Elle vient heurter violemment le mur de la chambre. Je m’attendais à faire face à l’autre. Elle n’est pas là et tant mieux. Je fonce aux toilettes. Assise sur les chiottes, je regarde l’heure sur le réveil que j’ai placé dans la douche pour ne pas être en retard le matin. Et je suis en retard pour ce que j’ai attendu depuis plusieurs jours. La librairie ferme dans 7 minutes. Pas le temps de réfléchir. J’enfile des claquettes, je manque de me casser la gueule dans les escaliers de l’immeuble, je cours. Je remonte la rue, il faut que j’atteigne le carrefour. Il faut que je puisse leur dire de ne pas fermer. Il faut que je voie Billie.

J’arrive à la hauteur de la librairie. C’est fermé. La porte est verrouillée, mais par chance, je vois des personnes à l’intérieur. Et les lumières sont encore allumées. Je frappe, j’appelle les silhouettes qui naviguent entre les rayons. Je crie, comme une folle. Je ne peux pas laisser passer ma chance comme ça. Je peux pas refuser la petite possibilité d’être heureuse. 

Un jeune mec un peu alarmé vient m’ouvrir. Il doit penser qu’il y a un attentat. Je comprends bien vite que c’est moi et pas la situation qui lui fait peur.
Madame, on est en train de fermer le magasin.
Il faut que je voie la jeune vendeuse. Par rapport à un livre où elle voulait un retour. 

Le mec est mal à l’aise. 
Mais cède rapidement et appelle Nelly, il y a quelqu’une qui veut te voir. 

Je suis transparente, je l’ai déjà dit. Quand Billie Nelly sort de la réserve, elle me dévisage, un peu amusée mais surtout flattée. Elle lit facilement sur mon visage ce qui m’amène ici, en claquettes, à la fermeture de la librairie. 

Moi, quand je la vois, je comprends que c’est fini. 

Enfin, je veux dire, ça commence quoi.